La fée des glaces

Je vais à Québec environ une fois par mois, pour visiter ma mère. C’est une routine qui s’est installée peu à peu quelque temps avant le décès de mon père, il y a déjà cinq ans. De la Rive-Sud de Montréal, le trajet dure deux heures et demie sur un autoroute plutôt monotone, avec de part et d’autres des champs, des fermes, quelques boisés et beaucoup de ciel.

Avec le temps, j’ai développé une affection pour les différentes nuances de gris, de beige, de blanc et de bleu que ce panorama assez ordinaire me fait voir à chaque voyage. Ce samedi là, le temps était clair et ensoleillé, paré d’un ciel bleu profond, le sol couvert d’une couche de neige fraîche et bien blanche, divisé en deux par le ruban noir de la route.

Une demie-heure avant d’arriver à destination, soudainement tous les arbres et arbustes se sont mis à briller d’un éclat de diamant. J’ai mis quelques minutes à réaliser que je venais de franchir une limite à partir de laquelle tout, de la clôture aux fils électriques, était recouvert de glace.

Une pluie verglaçante était tombée la veille et cette région avait été particulièrement touchée. Située plus au nord, le froid mordant en avait préservé l’effet saisissant.

N’allez surtout pas vous imaginer que j’aime la pluie verglaçante. C’est plutôt un phénomène météorologique qui se déguise en pluie pour ruiner la neige, et qui joue beaucoup sur les nerfs quand vient le temps de conduire ou même de tenter de marcher sans avoir l’air d’un pingouin. S’ajoutent à cela les dommages causés à la végétation et aux fils électriques suivis de pannes de courant. C’est un intrus.

Mais cet intrus de lumière et de glace crée des paysages enrobés de cristal.

Ce qui fait que ce jour là, absorbées que nous étions, ma mère et moi, à parcourir des albums de photos de famille, notre regard revenait fréquemment vers la fenêtre pour contempler cette fantaisie hivernale, déclinée en variantes or et argent de lumière étincelante.
Il était bien de mise d’être avec elle ce jour là. Car c’est elle qui nous a appris, mes frères, soeurs et moi, à observer et apprécier les nuances de la nature, en toutes circonstances. La capacité d’émerveillement de ma mère a été mon initiation à la beauté.

Louise Jalbert, « Québec, samedi 26 janvier 2019 », photographies, 2019

Mai

« Plus le degré de connaissance s’affine, plus le rapport avec le monde naturel s’élabore ».

Le XIVe dalaï-lama

 

Louise Jalbert, « Le cerisier en fleurs », 2013, Aquarelle sur papier sur papier, 56 x 76 cm